Portrait de Dominique de Villepin avec le texte « Le parti de la France doit être d’éviter une troisième guerre mondiale », soulignant son appel à la souveraineté européenne et à la prévention des conflits internationaux.

Dominique de Villepin : Pourquoi l’Europe doit renforcer sa souveraineté face aux tensions mondiales

Publié le
21 November 2025
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Le 13 mars dernier, le RISK SUMMIT a fait son retour pour une nouvelle édition. Pour l’occasion, Dominique de Villepin a clôturé l’événement par un discours engagé, lançant un appel urgent à l'Europe pour renforcer sa souveraineté face aux tensions internationales et à la dépendance stratégique. Entre réarmement massif et illusion technologique, il a tracé les lignes d'une indépendance européenne nécessaire. Décryptage.

Dominique de Villepin / Photo : David Marmier

Un contexte géopolitique en mutation

Dominique de Villepin a d’abord dressé un état des lieux du contexte mondial. Selon lui, le monde a profondément changé au cours des dernières décennies, et l’accélération des événements est aujourd’hui palpable : conflits en Ukraine, course aux armements, rivalités de puissance. L’ancien Premier ministre a une vision claire de l’avenir :

« Les règles même du jeu mondial sont en train de se transformer radicalement. Nous entrons dans un monde, de tout évidence, beaucoup plus dangereux. Les risques de guerre ou d’escalade sont plus nombreux. Surtout, à l’échelle du monde, l’idée d’une 3e guerre mondiale n’est plus une absurdité. »

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Il évoque également le piège de Thucydide, où la puissance hégémonique sortante, les États-Unis, est confrontée à une puissance rivale montante, la Chine.

« Et l’on sait, selon ce piège de Thucydide que, dans la majorité des cas, cela se termine par une guerre. »

La course aux armements : un engrenage incontrôlable

Pour Dominique de Villepin, le nouveau monde est marqué par un réarmement généralisé, aux implications inquiétantes :

« Les types d’engins et les types de vecteur se transforment et modifient complétement l’évolution. »

Les investissements sont colossaux : les États-Unis consacrent 1 700 milliards de dollars sur une décennie à la modernisation de leur arsenal, tandis que la Chine envisage probablement un quintuplement de ses ogives sur la même période. Au-delà de l’armement nucléaire, le réarmement conventionnel progresse également, avec une perspective d’augmentation de 1,5 à 3 points du PIB européen pour la défense, soit environ 500 milliards d’euros par an.

« Les courses aux armements, une fois engagées, conduisent presque toujours à leur utilisation. »

L’indépendance stratégique de l’Europe : un enjeu majeur

L’Europe reste loin de l’indépendance vis-à-vis des États-Unis. Dominique de Villepin identifie cinq secteurs vulnérables : la monnaie, le droit, le secteur financier, l’industrie de défense et l’indépendance technologique.

« Le dollar n’assure plus sur le marché mondial un service public de la stabilité mais une prédation finançant les déficits américains avec l’argent du vaste monde. »

Il pointe également :

« Il est illogique que des fonds européens abondent des fonds américains en rachetant des actifs européens… Entre 55 et 65 % des achats d’armement européens vont vers des producteurs américains, aggravant la spirale de dépendance. »

Dominique de Villepin / Photo : David Marmier

La tentation technologique : un piège idéologique ?

Concernant l’indépendance technologique, Villepin met en garde contre une illusion héritée du trumpisme, où l’innovation est perçue comme la solution universelle.

« Tout le monde appelle à une puissance technologique européenne. Mais soyons vigilants et pragmatiques. L’idée d’une puissance européenne est trompeuse. Peut-être nous lançons-nous dans une course que nous ne pouvons pas gagner. »

Il souligne le risque d’un technologisme débridé pour la démocratie et la société :

« La puissance se concentre là où est le pouvoir. Or, en Europe, cela reste au niveau des États membres et une course à la technologie aboutirait nécessairement à une compétition intra-européenne destructrice. Car la leçon de l’histoire est que nous sommes vite captifs des technologies que nous avons inventées. Qui veut d’un nouveau projet Manhattan et d’un nouvel Hiroshima ? »

Construire une indépendance européenne pragmatique

Villepin résume sa pensée ainsi :

« Être fidèle aux Européens, c’est rechercher leur sécurité. »

Il identifie cinq exigences pour une feuille de route ambitieuse :

  1. Idées et formation : renforcer les institutions d’enseignement supérieur et de recherche, retenir les talents et freiner la fuite des cerveaux.
  2. Équipements : protéger les infrastructures essentielles, notamment les flux et le stockage des données face aux attaques répétées.
  3. Énergie : diversifier les sources et sécuriser l’électricité verte, y compris via le nucléaire, pour soutenir la transition énergétique.
  4. Données et souveraineté numérique : éviter toute extraterritorialité et développer des solutions de cloud de confiance.
  5. Filieres technologiques : vigilance sur les investissements étrangers pour préserver l’innovation locale.

Implications pour la cybersécurité et la souveraineté numérique

Ces enjeux ne sont pas seulement géopolitiques : ils impactent directement la cybersécurité et la maîtrise des données. Une dépendance excessive à des technologies étrangères ou à des infrastructures non-européennes augmente la vulnérabilité face aux cyberattaques. Villepin souligne qu’une souveraineté numérique pragmatique passe par la protection des données industrielles et personnelles, ainsi que par la sécurisation des filières technologiques stratégiques.

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Vers une souveraineté européenne réaliste

En conclusion, Dominique de Villepin plaide pour une indépendance européenne fondée sur la réalité des rapports de force : consolider l’énergie, maîtriser les données et renforcer la défense, sans sombrer dans la confrontation ni les illusions de puissance technologique. Son message est clair : l’Europe doit agir avec pragmatisme pour protéger ses intérêts et sa sécurité dans un monde de plus en plus dangereux.

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Emilien Pau
Journaliste RISKINTEL MEDIA