
Lors de notre émission du Cercle sur le thème des stratégies de désinformation, nous avons reçu David Colon, historien, professeur agrégé, écrivain et chercheur sur la propagande, la communication, la persuasion, les relations publiques. Il éclaire ici la guerre de l’information entre les démocraties occidentales et les régimes autoritaires.
.jpg)
L’hégémonie américaine sur l’information
Dans son livre, La guerre de l’information, Les États à la conquête de nos cerveaux, David Colon expose qu’une véritable machinerie de la désinformation est mise en place.
Les reporters envoyés spéciaux sont souvent tributaires de images délivrées par l’armée ou par la chaîne CNN. Concrètement, ils ne voient rien de ce qui passe sur le front. Ils sont tributaires des informations, visiblement retravaillées par les services d’information des armées, qui tendent à contrôler la narration médiatique.
"Ces images sont ensuite remises entre les mains des commentateurs en plateau", souligne David Colon.
Ce procédé montre la maîtrise de l’information que prenaient les États-Unis pendant la guerre du Golfe, qui venait d’être menée en 1991. Sur le champ de bataille, ils avaient mis en place une doctrine de domination informationnelle, emprisonnant toute la capacité d’accès à l’information de l’ennemi. Les chaînes d’information ont même servi à induire en erreur l’adversaire au sujet des positions de l’armée koweïtienne. À l’ère du numérique, si cette modalité a été retenue dans le monde du digital, elle a surtout été dupliquée dans le monde civil, les moyens technologiques des médias sont devenus des outils de guerre informationnelle.
Manipulations dans les démocraties et dans les régimes autoritaires
Tout régime politique cherche à influencer les esprits à travers les médias, rappelle David Colon. Mais pas de la même manière.
Démocraties : persuader plutôt que contraindre
En temps de guerre, les démocraties ne peuvent pas censurer ni contrôler l’information sur toute la chaîne. La propagande devient alors l’art de persuader.
"La propagande est fille de la démocratie, car en démocratie, on ne peut pas contraindre, on doit persuader."
Depuis plus de cent ans maintenant, la prolifération des outils de persuasion de masse (publicité, relations publiques, études de marché, réseaux sociaux) permet d’intervenir sur les conduites sans contraindre. La persuasion fait partie de la propagande, mais ne s’y résume pas.
Dans les États autoritaires : la peur comme prolongement de la propagande
On craint alors que, dans les États dictatoriaux, la propagande soit le prolongement de la peur. Ces États interdisent l’expression d’opinions dissidentes et mobilisent la communication de masse pour influer sur les comportements, tant pour susciter que décourager des mobilisations.
Les propagandistes se servent des techniques disponibles, technologiques ou scientifiques, pour obtenir plus efficacement les résultats recherchés.
La pandémie informationnelle en France
En France, selon une enquête Ipsos Sopra Steria, 25 % des Français estiment que les vaccins contre la Covid-19 ont causé des millions de morts. Un chiffre qui montre, pour David Colon, à quel point une fraction importante de la population s’est décorrélée des faits scientifiques.

Ce phénomène peut s’expliquer par :
- une défiance croissante envers les institutions (médias, autorités publiques, système électoral) ;
- des ingérences informationnelles étrangères, amplifiées par les réseaux sociaux.
Certains États ont mené des campagnes de désinformation pour disqualifier les vaccins occidentaux et soutenir leurs propres produits. Résultat : une infodémie mondiale, où le virus de la désinformation se propage aujourd’hui à la vitesse du numérique.
"Un virus de la déformation et de la mésinformation se propage à une vitesse considérable. C'est à la société de traiter le problème avant de juger la responsabilité individuelle."
Une guerre informationnelle défensive
Pour les régimes autoritaires comme la Russie et la Chine, mais aussi l’Iran ou la Corée du Nord, la domination de l’information par l’Occident est une menace existentielle. Ils craignent le “virus de la démocratie”.
Après la guerre du Golfe (1991) et l’invasion de l’Irak (2003), ils ont vu dans la stratégie américaine une instrumentalisation du droit international et de la technologie au service de la stratégie. Les outils numériques américains (de la NSA et des mastodontes de la Silicon Valley) ont été mobilisés pour massivement collecter des données, via des opérations de cyberguerre comme dans le cas Stuxnet.
Les services de renseignement américains ont également soutenu des dissidences dans les régimes autoritaires, suscitant un sentiment de vulnérabilité. Les “Kremlin leaks” ont révélé que ces régimes s’apparenteraient à des “tigres de papier”, reposant sur leur propagande numérique pour maintenir leur emprise.
"Ils ont dû se doter à leur tour des armes de la guerre de l'information : usines à troll, médias internationaux, boucliers numériques..."
.jpg)
Depuis le début des années 2000, des régimes se sont dotés de murs informationnels afin de soumettre à un contrôle strict ce qui sort ou entre dans leur espace numérique, et ce, au détriment des libertés individuelles, quand la République Populaire de Chine, dès 1993, s’est adaptée à cette guerre « sans fumée » qui, sous Xi Jinping ,a pris une ampleur sans précédente.
La Russie, elle, opte pour le renforcement des fragilités des démocraties à l’intérieur de leurs failles en s’appuyant sur leurs divisions et la détournant de deux armes, des relations publiques à Facebook.
"Ce qui est problématique aujourd'hui, ce n'est pas seulement l'ingérence, mais le fait que les États étrangers viennent souffler sur les braises pour accélérer la fragmentation des sociétés démocratiques."
À illustrer cette stratégie de déstabilisation, la récente mobilisation sur le terrain, celle des manifestants en Nouvelle-Calédonie, qui ont reçu un soutien en ligne à l’échelle internationale par les relais russes et azerbaïdjanais.
Le mot clé : transparence et immunité cognitive
Face à ces manœuvres, la transparence est, pour les régimes démocratiques, l’arme la plus efficace.
"Les États autoritaires n'aiment pas que l'on mette en lumière leurs activités."
La France a étendu, pour sa part, le modèle du Foreign Agent Registration Act américain, à la loi du 26 juillet 2024, tendant à créer une section sur la « transparence des activités d’influence menées pour le compte d’un mandant étranger ». Objectif : permettre d’éclairer le débat public sans pour autant brider la liberté d’expression.
Les techniques de manipulation les plus utilisées
Les plus souvent utilisées sont :
- Le renversement argumentatif qui consiste à accuser sans preuve et à contraindre l’adversaire à se justifier ;
- Le recours à l’émotion pour influencer les attitudes ;
- L’amplification artificielle de certains discours ;
- L’usurpation d’identité sur les réseaux.
"Il est devenu plus facile de hacker des cerveaux que de hackers des serveurs."
David Colon appelle à mobiliser l’immunologie cognitive : il s’agit de réhabiliter notre propre résilience individuelle et collective aux tentatives de manipulation.
Cela passe par des formations au “prebunking” (anticipation des fausses nouvelles) mais aussi au debunking (déconstruction de fausses nouvelles), plutôt que par du pur fact-checking.

À l’ère de l’intelligence artificielle générative et de la guerre cognitive, la ligne de front n’est plus simplement numérique, elle est mentale.
Les démocraties doivent apprendre à défendre leurs esprits autant que leurs infrastructures.
La transparence, la vigilance citoyenne et l’éducation à la manipulation sont devenues nos principales armes de résilience informationnelle.
Pour retrouver tous nos autres articles, consultez la bibliothèque complète de nos articles.
Pour ce qui concerne nos émissions, dont est tiré cet article, vous pouvez consulter notre chaîne YouTube.








.avif)