
Au cours de l’émission Le Cercle de RISKINTEL Media, le Directeur général et co-fondateur de Yogosha, Yassir Kazar expose sa conception de la guerre économique et le positionnement que pourrait adopter l’Europe au regard des tensions entre les États-Unis et la Chine. Selon lui, l’Europe ne devrait pas prendre parti dans ce conflit et maintenir des relations diplomatiques et économiques avec tous, pour sauvegarder son autonomie et inciter à la coopération internationale.

Une approche historique de la guerre économique
Le concept de « guerre économique » est une notion d’abord introduite par les historiens médiévistes pour évoquer les tensions militaires et économiques de l’époque médiévale, reprise ensuite par les mercantilistes pour penser la puissance des nations (le prince doit s’appuyer sur les marchands et assurer le développement industriel pour prétendre à un excédent commercial et attirer des métaux précieux).
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« La force du narratif d'une guerre, c'est qu'il dessine un "nous" et un "eux" », souligne Yassir Kazar. « Cela permet un contrôle simple et binaire. Tu es avec moi ou contre moi.»
Cette optique peut justifier des extrêmes « nous contre les autres », mais elle peut aussi cacher des tendances xénophobes ou négliger la coopération pourtant centrale au progrès technique et scientifique.
La collaboration, un enjeu essentiel
Yassir Kazar rappelle la nécessité des échanges internationaux indispensables à l’innovation :
- Les talents étrangers sont nécessaires à la France et à l’Europe pour faire avancer la technologie, alors qu’une pénurie de main-d’œuvre qualifiée commence à peser.
- Historiquement, d’importantes découvertes ont pu se faire grâce à des apports venus d’ailleurs, comme Eratosthène qui a calculé la circonférence de la Terre, Hedy Lamarr qui a inventé la technologie d’étalement de spectre utilisée dans les satellites modernes.
« C'est nier la réalité historique que de penser que de penser que l'innovation peut se faire isolément. »
L’association et la coopération au sein même des individus, des entreprises et des nations restent un levier crucial pour rendre plus rapide la recherche et le développement technologique.
Les positions européennes dans le cadre de la guerre économique
Le conflit économique entre la Chine et les Etats-Unis se traduit par des innovations technologiques, des champions nationaux et un environnement juridique contraignant pour les entreprises étrangères. Loin d’être modèle de réactivité, l’Europe se retrouve tiraillée entre deux options :
- S’unir aux côtés des États-Unis, partenaire historique issu de la Seconde Guerre mondiale.
- Coopérer avec la Chine, dont la croissance économique est forte (+10 % en moyenne par an depuis 1980).
« Il n'y a pas que le choix entre la peste et le choléra », souligne Yassir Kazar. « L'Europe doit définir sa propre vision et son rôle dans le monde. »
Ici, pour lui, voilà un moment charnière pour le Vieux Continent : il doit repenser ses alliances, ses gouvernances, ses stratégies économiques pour éviter d’être subordonné aux superpuissances.
L’Europe possède-t-elle vraiment un retard en matière d’innovation ?
Yassir Kazar déconstruit l’argument selon lequel l’Europe n’innove pas :
- Articles scientifiques : La revue Nature classe 4 pays européens dans le top 10 des publications scientifiques, avec l’Allemagne et la France.
- Global Innovation Index 2023 : La Suisse, la Suède et le Royaume-Uni au top 4, la France 11ᵉ, plusieurs pays européens dans le top 20.
« D’où vient cette idée que l’Europe n’innove pas ? Nos institutions fonctionnent et nos chercheurs produisent. Le discours du self-bashing n’est pas représentatif de la réalité », affirme-t-il.
La place des sociétés européennes
Pour Yassir Kazar, les sociétés doivent respecter en premier lieu la législation internationale et les restrictions qui en découlent, mais ne doivent pas pour autant se déconnecter de l’échange ou de la coopération avec des acteurs étrangers.
La stratégie du dilemme du prisonnier appliquée à l’économie
Le dilemme du prisonnier, mis en lumière par Albert W. Tucker et approfondi par Robert Axelrod, démontre l’importance de la coopération dans le temps :
- Coopérer permet à chaque partenaire d’obtenir le meilleur rendement.
- Principes essentiels : être un partenaire bienveillant, ne pas répondre de façon disproportionnée à l’agression, faire preuve de clémence, être clair sur ses propres ambitions.
« S'entraider est la solution pour sortir de l'ambiance de conflit technologique et économique. »

Les expériences européennes, tant heureuses que malheureuses
L’Europe connaît des réussites et des échecs :
- Succès : l’Union européenne en tant que telle, construite sur la collaboration des États.
- Erreur : Arte, chaîne initialement européenne, devenue franco-allemande ou encore l’European Launcher Development Organisation (ELDO) a mis un frein aux ambitions spatiales de l’Europe(années 1960).
« On paie aujourd’hui le prix des collaborations ratées et de l’essoufflement du marché », note Yassir Kazar.
Sortir de la logique du conflit par la collaboration
« Le défi pour nous est de changer rapidement notre regard sur le monde, sinon nous risquons de répéter les erreurs du passé et d’entrer dans des conflits irréversibles. »
Pour Yassir Kazar, l’Europe doit penser en dehors des visions et paradigmes qui l’ont conduite à une confrontation systématique. Plutôt que de se positionner dans le rapport de force comme dominants ou dominés, il faut savoir coopérer, inventer et construire des alliances intelligentes au niveau de l’entreprise et de l’Etat.
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